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La poule aux œufs d’or

Renaud Dutreil, ancien Secrétaire d’Etat au Commerce sous la Présidence de M. Chirac et que j’interviewe cette semaine, fait référence dans notre entretien à une fable de Jean de la Fontaine pour évoquer la loi qui porte son nom. Cette fable est celle de la Poule aux Œufs d’Or. La voici.

L’avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un œuf d’or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ?

A tuer la poule (le capital), on perd les œufs (les revenus, y compris fiscaux) nous dit Renaud. Tout cela est un peu simple, mais c’est l’avantage des fables, nous les comprenons tous, même moi. Si je partage avec vous cette métaphore de notre génial poète, ce n’est pas seulement pour vous faire découvrir un texte vieux de plus de trois siècles ou pour agrémenter votre café dominical.

C’est aussi pour tenter de vous dire le plus légèrement possible que les idées de mon interlocuteur ne plairont pas à tous. En matière de fiscalité, nous avons tous notre petit avis sur ce qui est juste ou injuste. Ne voyez ni dans l’épisode ni dans ces lignes une quelconque arrière-pensée de ma part. En me demandant comment faire renaître notre industrie, le nom de M. Dutreil est vite apparu. Cet homme, la loi qui porte son nom, les Pactes que les entreprises signent avec l’administration de Bercy font partie de la solution.

Comme la fiscalité, et en particulier celle de la transmission d’entreprise dont il est question aujourd’hui, est un sujet un peu rasoir, je vous propose d’approfondir cette image de la poule et de l’œuf. C’est plus compréhensible, mais surtout, c’est plus drôle.   

La poule a longtemps été un plat très français. Il l’est moins aujourd’hui. Nous lui préférons sa version masculine sur un t-shirt de sport. Un coq est plus testostéroné, il est plus coloré aussi mais je me demande s’il n’est pas plus idiot que sa compagne. Une chose est certaine, il est moins agréable au palais. Le capital est comme une poule-au-pot sur nos tables l’hiver. Il intéresse moins de nos jours. Le mot n’est pas très beau. Il semble devenu vulgaire. On hésite à le prononcer.

Les œufs, eux, sont comme les choux. Ils sont restés à la mode de chez nous. Nous les cuisons régulièrement et chacun à notre façon. A la coque, sur le plat, brouillés, pochés, ou cocotte. Ils sont comme les revenus, un sujet quotidien des Français. Etrange de voir à quel point l’œuf est au revenu ce que la poule est au capital. Le premier se discute, se cuisine et se partage. La seconde intéresse moins et pourtant pas d’œuf sans poule, c’est bien connu.

Aujourd’hui, nous parlerons de la poule et non pas des œufs. Les œufs, nous en avons déjà parlé avec Antoine Foucher.

La poule se cuisine d’abord avec le cœur et le souvenir de nos grands-parents. Vous le savez, je ne suis pas cuisinier mais comme vous, j’aime bien manger. Voici donc une recette vue tout de même près de 100 000 fois sur votre plateforme video préférée : Ma véritable poule au pot Henri IV à l’ancienne.

Parler de poule, c’est donc aujourd’hui aussi parler de capital, c’est parler développement économique. Le capital sert d’abord à cela : faire grandir les entreprises.

Vous le savez comme moi, il y a développement et développement. Le développement durable a été conceptualisé pour rappeler aux entreprises que tous les développements ne se valent pas. Le paradoxe bien français vient de notre intellectualisation de cette belle idée et en même temps de ne pas être un super exemple à suivre. Notre poulailler n’a rien à envier à celui de beaucoup de nos voisins mais nos poules produisent chaque jour un peu moins d’œufs. Elles perdent leurs plumes et pour tout vous dire, elles me font de la peine à voir. Chez nous, moins de gloussements, moins de caquètements, moins de chants tôt le matin.

Je cherche comme beaucoup d’entre vous la voie la plus digne à notre développement. Ma préoccupation première consiste à faire grandir le nombre de poules dans le poulailler. Respecter l’environnement et vivre en paix sociale est assez naturel chez les gallinacés. Nous devrions y arriver aussi. Faire grandir le nombre de poules devrait assez facilement faire grandir le nombre d’œufs le matin dans votre omelette. Et cela ne devrait déplaire ni au coq, ni aux poules, ni au fisc.

La mode étant à la fable aujourd’hui, j’ai dû m’y contraindre. J’ai fait une exception aussi. J’ai demandé à mon IA de chevet d’écrire quelques vers. J’aurais bien tenté l’exercice sans me faire aider d’un robot que les œufs meurette n’émeuvent pas, mais je vais devoir passer mon samedi à autre chose qu’à vous écrire. Je vous aime mais j’aime aussi ma famille. Noël approche et l’on m’a fait comprendre qu’il fallait quitter l’écriture pour la joie de la foule en magasin. Croyez-bien que j’aurais préféré m’exercer à la rime.

Puissent les lignes qui suivent vous faire sourire et vous faire voir d’un jour nouveau les Pactes Dutreil. Qu’elles puissent aussi nous rappeler que sans poule il n’y a pas d’œufs et que sans œufs, il n’y a rien à donner à celui qui sans un sou en poche vient frapper à notre porte parce qu’il a faim. Les voici.

Dans un lointain pays, deux royaumes voisins

Vivaient de leurs ateliers, de leurs champs, de leurs moulins.

Même soleil, même pluie, mêmes plaines fécondes,

Même goût du travail, même faim de la ronde.

Dans le Royaume des Renards, rusés et travailleurs,

On transmettait l’affaire aux petits successeurs.

Quand un vieux Renard, pelage un peu usé,

Voulait prendre repos, près du feu, au verger,

Il léguait son atelier, ses outils, ses clients,

À ses renardeaux vifs aux museaux impatients.

Nul percepteur ne venait, au jour de la passation,

Décrocher une part du fruit de sa passion.

 « Laisse ton capital où il sait prospérer,

Qu’il paie ses ouvriers, qu’il continue d’innover. »

Ainsi les entreprises grossissaient avec l’âge,

Engageant plus de monde à chaque nouvel étage.

Un four se faisait deux, un moulin plusieurs ailes,

Un entrepôt naissait d’une simple échelle.

Le Royaume des Renards voyait partout fleurir

Des enseignes, des hangars, des rires et des sourires.

Dans le Royaume des Lions, même zèle au départ :

On se levait tôt, on travaillait tard.

Les Lions, à force d’effort, bâtirent des maisons,

Des ateliers solides, de belles productions.

Mais une loi régnait, gravée en lettres d’or :

« À la transmission, l’État prendra son trésor.

Pour chaque entreprise passant aux héritiers,

Un lourd impôt sera dû, rubis sur l’encrier. »

Tant que le Lion travaillait, tout allait, ma foi, bien :

Le capital fructifiait, donnait salaire et pain.

C’est au soir de sa vie qu’au seuil de la maison,

Frappait le percepteur avec ses gros crayons.

« Cher Lion, félicitations pour tant de réussite !

Ton entreprise vaut cher, la fortune est inscrite.

Pour en faire cadeau à ton jeune lionceau,

Paie d’abord notre dû : la moitié, ou presque, en billets bien et beaux. »

Le Lion, tout interdit, comptait, recomptait,

Voyant que dans ses coffres il n’avait pas de quoi payer.

Son capital n’était pas paille ou pièces d’or :

C’étaient machines, hangars, savoir-faire et efforts.

C’est alors qu’apparurent, venant de très loin,

De grands Oiseaux au plumage brillant.

« Nous rachetons ton entreprise, ami,

Nous paierons cet impôt, tu partiras ravi.

Tu transmettras de l’argent, bien propre et bien rangé,

Et nous, nous prendrons la peine de gérer. »

Pressé par le fisc, le Lion accepta l’affaire ;

Son lionceau eut des pièces, un joli compte bancaire.

Les Oiseaux, propriétaires, longtemps restèrent polis :

Ils gardèrent quelque temps les usines et l’outil.

Mais, calculant leurs marges perchés sur de hauts miradors,

Ils virent qu’en d’autres terres, on gagnait bien plus d’or.

Or, justement, vivaient au-delà de la mer

Des Chats très organisés, industrieux, peu chers.

« Amis Chats, dirent les Oiseaux, recevez nos usines,

Nous fermerons chez les Lions, ouvrons chez vous les lignes. »

Et l’on vit, au pays des Lions, un triste matin,

Des grilles se fermer, des hangars orphelins.

Les machines partirent, bien sanglées sur les chars,

Vers le pays des Chats, sous les yeux hagards.

Les Oiseaux, repus de primes et de plus-values,

Regagnèrent leurs nids, d’où l’on ne les vit plus.

Les Chats ronronnaient sur des chaînes rutilantes,

Produisant en silence leurs richesses éclatantes.

Au Royaume des Lions, on comptait les carreaux

Des usines vides, des fenêtres sans eaux.

On vendit peu à peu les maisons, les terrains,

Et l’on chercha du travail… chez les Renards voisins.

Là-bas, tout le contraire : les firmes familiales,

Transmises sans arrache, sans coup fiscal brutal,

Avaient grossi, muri, tissé mille valeurs,

Prêtes à embaucher même les nouveaux rêveurs.

Les jeunes Lions, jadis promis à la direction,

Faisaient la queue, modestes, à la porte d’embauche.

Les Renards leur disaient :

« Entre, tu seras bienvenu,

Mais comprends une chose, ami venu du sud :

Ce qui fait la richesse n’est pas l’argent qu’on prend,

C’est le capital qui reste là où vivent les gens. »

Les Chats prospéraient, les Oiseaux comptaient leurs gains,

Les Renards bâtissaient de nouveaux lendemains.

Seuls les Lions, chez eux, dans leurs terres amaigries,

Regardaient leurs usines comme de vieux souvenirs partis.

Les années s’écoulèrent sur les deux territoires,

Et les Lions, songeurs, contemplaient leurs mémoires.

Du haut de leur savane, en regardant le nord,

Ils voyaient chez les Renards des cheminées d’or.

« Là-bas, dit un Lion, les usines foisonnent,

Certains Renards sont rois, d’autres peinent et s’étonnent.

Chez nous, point de palaces ni de grands héritiers,

Mais nul renardeau, c’est vrai, sur des tas de billets. »

On réunit bientôt un Conseil de la Plaine,

Pour parler de justice, de richesse et de peine.

Un jeune Lionceau osa demander ce soir-là :

 « Faut-il choisir, Maître, entre justice et essor ?

Être tous un peu pauvres, mais semblables dans l’effort,

Ou laisser plus de place à ceux qui vont plus loin,

Si leur élan, en passant, nourrit aussi le voisin ? »

Alors vint une Chouette au plumage un peu terne,

Qui disait peu de mots, mais savait les lanternes :

« On peut être égaux dans un même malheur,

Ou divers dans l’abondance aux multiples couleurs.

Ne comptez pas seulement vos pièces sous la lampe,

Comptez les vies ouvertes, les chemins qu’on rampe. »

Un système peut sembler plus juste à première vue

Parce qu’il rabote tout ce qui pointe au-dessus.

Mais ce qui compte vraiment, au-delà des apparences,

Ce n’est pas d’égaler les hauteurs,

C’est d’élever la base de l’existence. »

Les Lions rentrèrent chez eux, la crinière un peu moins au vent,

Regardant vers les Renards avec un autre œil, pourtant :

Non plus seulement curieux de leurs grandes fortunes,

Mais songeant à la façon dont, de lune en lune,

Un capital qui reste, qui se transmet, qui grandit,

Fait plus qu’enrichir quelques-uns :

Il grossit toute la vie du pays.

Martin, aidé de ChatGPT