Ce podcast est sponsorisé par BlueBirds

Logo sponsor Bluebirds   AccueilContact

La dette publique portugaise

Revenant avant hier de ma nouvelle rencontre avec Nicolas Dufourcq pour un futur épisode de notre podcast où nous avons évoqué le Portugal, je me suis rappelé ce que je vous avais raconté à Porto. Souvenez-vous, c’est ici.

J’avais alors regretté que les aventures d’Asterix et Obelix ne se soient jamais déroulées en Lusitanie. C’est désormais chose faite. Plus de 600 000 exemplaires du dernier épisode de la saga de nos gaulois préférés ont été déjà vendus. Commande est faite de mon côté.

Dans cet édito écrit à Porto, j’avais alors évoqué la crise de la dette que le pays avait traversé. Je vous avais promis par ailleurs de m’attarder un jour sur ces crises qui nous pendent au nez.  Le dernier ouvrage de Nicolas Dufourcq lu et relu cette semaine pour me préparer à l’interview de vendredi dernier m’a convaincu qu’il était temps. Lui aussi évoque à plusieurs reprises le Portugal. Et puis nos discussions courtoises à l’Assemblée en ce moment me font vous dire qu’il est temps de regarder d’un peu plus près nos voisins et amis. 

La crise du Portugal débute à peu près en même temps que celle de l’Italie. Pour son livre, Nicolas a interviewé Elsa Fornero, Ministre du Travail et des Prestations Sociales de Mario Monti de novembre 2011 à avril 2013. Voici ce qu’elle écrit le 22 janvier dernier (p.275):

« By the fall 2011, the situation had become unbearable, as Italy’s sovereign debt was under attack. Every morning at the bar, instead of discussing soccer, people talked about the Italian “spread”, i.e. the difference between Italian and the German interest rate on ten-year bonds. By the end of November, it had reached 575 basis points. […] The first step was to increase the retirement age. Officially, and nominally, was 65, but various options allowed early exit. We raised the standard retirement age to 67 and imposed stricter limitations on anticipation. […] The reform was approved on December 21st 2011. […]

Today, public hostility has largely faded. Many people stop me in the street thanking me. Some say, “I hated you once, but now I see things differently.” Despite resistance, people understand that the reform was necessary for their children and grandchildren to somehow counteract Italy’s gloomy demographic future. »

Si je commence par l’Italie pour vous parler du Portugal, c’est que les mots de la Ministre du Travail sont à lire noir sur blanc dans le nouveau livre du PDG de la BPI. Ils vous montrent aussi la rapidité et l’ampleur de la crise et les réponses qu’il faut lui apporter quand elle advient.

Surtout ils nous rappellent que l’équilibre des finances publiques européennes passent toutes par une réforme des retraites. Si des députés soucieux de rétablir nos finances publiques me lisent, qu’ils aillent avant toute autre chose s’entretenir avec Mme Fornero.

Les germes de la crise de la dette publique portugaise furent plantés comme en Italie et en France il y a des années, au fur et à mesure que le ratio dette publique sur PIB grandit. En 2010, ce ratio était de 96% au Portugal. Il faisait suite à une année 2009 déjà catastrophique sur le plan des finances publiques. Le déficit public portugais fut de 9,4% du PIB cette année puis de 11,2% en 2010. (En France, ce fut respectivement 7,2% puis 7,0%). Le ratio dette/PIB atteignit 114% en 2011 puis 130% en 2013. La France était à 113% fin 2024.

Devant la dégradation des comptes publics liée à la crise financière de 2008-2009, les marchés de financement de la dette publique portugaise commencèrent à douter de la capacité du pays à honorer ses engagements obligataires.

Le 13 janvier 2009, Standard & Poor’s plaça la dette portugaise sous surveillance négative. Huit jours plus tard, la note fut abaissée à A+. (C’est la note de la France aujourd’hui). Ce sera ensuite A- en avril 2010, puis BBB le 24 mars 2011 et BBB- cinq jours plus tard !

Les taux d’emprunt du Portugal évoluèrent concomitamment. En janvier 2009, le spread de taux était de 125 points de base. (100 points correspondent à 1% d’écart de taux d’emprunt avec l’Allemagne). Il est de 71 points aujourd’hui pour la France. En mai 2010, ce spread était de 229 points. Il atteignit 941 points en juillet 2011 puis 1115 en décembre de la même année.

En mars 2010, le Portugal tenta de restaurer ses finances publiques par un « programme de stabilité et de croissance », le PEC, transmis à la Commission européenne. Ce programme n’était rien de moins qu’un sévère plan d’austérité. Le voici dans ses grandes lignes :

1.      Dépenses courantes : non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Objectif de ramener la masse salariale publique à 10 % du PIB en 2013. (La France est aujourd’hui à 12,4%) ;

2.      Dépenses sociales et chômage : durcissement des règles de l’allocation chômage (barème/acceptation d’offres), généralisation du conditionnement aux ressources pour les prestations non contributives et gel nominal de la plupart d’entre elles ;

3.      Dépenses d’investissement : report des projets TGV, arrêt de nouveaux engagements routiers, retour progressif aux niveaux d’investissement d’avant-crise ;

4.      Recettes fiscales : réduction des dépenses fiscales et encadrement des avantages/abattements IR, création d’une tranche IR “temporaire” à 45 % pour les revenus >150000 €/an, introduction de péages sur les autoroutes SCUT, autres ;

5.      Programme de privatisations.

En mai puis en novembre de la même année, le programme fut renforcé :

1.      Hausse de TVA portée à 23% – elle « gagna » ainsi trois points en 6 mois -, surtaxe sur l’impôt sur le revenu, surtaxe sur les profits des grandes entreprises ;

2.      Baisse de 5 % des rémunérations des plus hauts responsables publics et politiques ; gel des salaires de la fonction publique pendant 4 ans.

Ce n’était pas suffisant. Les problèmes croissants du financement de la dette portugaise déclenchèrent une crise politique en 2011. La 4ème version du PEC fut celle de trop.

Le 11 mars, le Gouvernement annonça une série de nouvelles mesures d’austérité. Il souhaitait en particulier appliquer un impôt exceptionnel sur les retraites à partir de 2012. L’opposition rejeta le plan.  

Le 12 mars, 200 000 à 300 000 personnes défilèrent à Lisbonne pour s’opposer aux nouvelles mesures du Gouvernement. Le mouvement Geração à rasca (génération précaire) naquit.

Le 23 mars, l’Assemblée Nationale portugaise débattit des mesures. Ce plan d’austérité cherchait surtout à éviter toute intervention du FMI, de la BCE et de l’UE. Les cinq partis d’opposition adoptèrent les projets de résolution parlementaire de rejet du PEC. Le 1er Ministre démissionna. Nous venons de le voir, S&P abaissa la note de la dette publique portugaise le lendemain et une nouvelle fois quelques jours après. (De même, c’est en réponse à l’annonce de la suspension de notre projet de réforme des retraites que S&P abaissa en octobre dernier la note de notre dette publique.)

Le 7 avril, le nouveau 1er Ministre José Sócrates fit finalement appel au FMI et au Fonds européen de stabilité financière créé un an plus tôt pour renflouer la Grèce. Il fallait subvenir aux besoins en trésorerie du pays.

Le 16 mai 2011, l’Eurozone annonça que le Portugal recevrait une aide de 78 milliards d’€ du FMI et des autorités européennes. En contrepartie le Portugal acceptait un plan de réduction de son déficit public. Il visait 5,9 % du PIB en 2011, 4,5 % en 2012 et 3,0 % 2013.

Je vous épargne la longue liste exigée par les nouveaux prêteurs au Portugal. C’était plus strict encore que ce qu’imaginait le PEC IV. Retenez tout de même quelques mesures illustratives :

1.      Salaires des 13 et 14ème mois des fonctionnaires non payés ;

2.      Doublement du reste à charge des patients en médecine de ville et aux urgences ;

3.      Augmentation de la durée de travail d’une demi-heure par jour, assouplissement du droit du travail, diminution du nombre de jours de congés et de jours fériés.

Si vous voulez vous faire une meilleure idée du programme imposé par le FMI, l’UE et la BCE, il est là : The economic adjustment programme for Portugal. Accrochez vos ceintures, vous ne souhaiteriez une telle potion à aucun pays et surtout pas au nôtre.

« Plus jamais cela » se diront et se disent encore les Portugais. Le Portugal est désormais en excédent budgétaire de 0,3%. Ils fuient les déficits publics comme la peste.

Nous visons quant à nous -5,4% en 2025. Le FMI nous indique que ce sera plutôt -6%. Dans les deux cas, cela se passe de commentaires.

La France n’est pas le Portugal. Son économie est dix fois plus grande. Il n’est donc pas certain que les solutions de financement de secours appliquées au Portugal pourraient s’appliquer à la France.

Notre pays est systémique dans la tenue de l’Euro et donc dans ce qui lie la plupart des pays de l’UE. Une crise de la dette française remettrait en cause l’Euro et secourait les fondations de l’UE elle-même.

Au milieu de ces questions demeure une certitude, c’est la violence sociale qu’a engendrée le cercle vicieux de la dette publique portugaise. Nous sommes dans un cercle tout à fait comparable. Il faut y mettre fin au risque de connaître ce qu’a connu le Portugal.

Allez faire un tour à Lisbonne ou à Porto comme Asterix et Obelix. Vous verrez, il y fait bon vivre. Et discutez avec les Portugais de la décennie 2010. Ils vous diront tous la même chose: « Evitez-vous cette souffrance. Redressez vos finances publiques avant qu’il ne soit trop tard. »

Martin