Du Maroc
« Le Maroc est l’amante que tu n’as jamais eue Martin » me dit un jour l’une de mes sœurs.
Cette phrase prononcée au détour d’une conversation téléphonique m’a fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. J’ai compris pas mal de choses ce jour-là.
D’abord que j’aimais éperdument le Maroc.
J’ai eu la chance de découvrir le Maroc par le biais des affaires et non pas d’un voyage touristique. Quand je pris la première fois l’ascenseur qui m’emmenait dans ma chambre au Kenzi sur le boulevard Zerktouni, le regard de la femme qui montait en même temps que moi s’arrêta sur le mien. Elle était visiblement locale, apprêtée, maquillée, pas trop, juste ce qu’il faut pour enjoliver un visage qui sans rien m’aurait déjà plu. Je me souviens bien de son chemisier vert. Elle me sourit comme on sourit à un étranger dans un ascenseur. Même si cet ascenseur est chaleureux et qu’une lumière dorée rendue amie par des miroirs vous renvoie une image rassurante, il existe toujours un court instant, une fraction de seconde en fait, où il faut mettre votre voisin ou votre voisine à l’aise. Surtout si vous êtes seul avec elle ou seule avec lui. Son sourire fut un chouilla long, c’est du moins ce que je me figurai à ce moment-là. Peut-être avais-je seulement rêvé. C’est même très probable. Mais par ce geste, cette simple courbure sur ses lèvres, elle avait fait le premier pas et en même temps fabriqué la première image que je m’étais faite du Maroc et que je garde encore : une image belle comme une belle femme qui vous sourit.
Le lendemain, je découvrais l’OCP, première société du pays. Elle l’est encore très largement. Son président dont je fis la connaissance quelques mois plus tard était en train de transformer la société du sol au plafond. Il y avait tout à faire, j’étais là pour un court projet censé durer cinq semaines. L’histoire dura trois ans.
Casa Port
Dans les mille souvenirs que je garde de mes années passées là-bas, l’un d’eux me restera toujours : celui de mes allers et retours en train entre Casablanca et Rabat. J’ai fait ce trajet plusieurs centaines de fois. Arrivé à la gare de Casa Port, je demandais régulièrement un café à l’épicier qui avait encore pignon sur rue à l’époque. Je montais ensuite dans ces vieux trains corail que l’ONCF racheta à la SNCF pour assurer la liaison entre la capitale administrative et la capitale économique. La première fois que je montai dans la voiture, les odeurs, le cuir des sièges, les porte-bagage en aluminium me rappelèrent instantanément mes voyages en famille quand plus jeune nous nous rendions aux sports d’hiver, terminus le Fayet. A chaque fois, cela ne ratait pas. Je m’asseyais, j’inspirais puis expirais et mon esprit faisait un bon en arrière de 30 ans. Les trains de l’ONCF me firent voyager dans les souvenirs de mon enfance.
Une fois entré dans le wagon, je me pressais donc contre la vitre et respirais. Je posais ensuite mon regard sur l’Atlantique en train de défiler sous mes yeux. J’avais deux heures de bord de mer tous les jours. Le soir, si les horaires de la fin de mes réunions s’alignaient avec ceux du soleil fatigué de sa course, je regardais le ciel rougir avant que la lumière bleue de la lune ne commence à prendre le relais. Un coucher de soleil vous habille une journée entière. Aujourd’hui, ce sont des lignes TGV qui assurent la navette et poussent jusqu’à Tanger à grande vitesse.
L’or
La lumière, les odeurs des épices et de la viande, la cuisine, les klaxons, le bazar, les paysages désertiques d’une beauté à couper le souffle où l’on cherche l’or, l’argent, le cobalt et le silence de la roche devenu sable, tout m’a tout de suite plu au Maroc. Les marocains aussi m’ont séduit, par leur langue d’abord. Ils rigolent, ils discutent de tout tout le temps ce qui n’est pas ma première qualité. Leur humour m’a souvent désarmé, j’ai beaucoup ri et rit encore souvent avec nos voisins arabes. En Afrique et plus spécifiquement au Maroc, j’ai trouvé ce que la France n’entretient pas assez : l’énergie de vivre, l’envie de grandir, un patriotisme qui crie « Vive le Maroc ! » qui ne dit rien de plus mais rien de moins non plus que ces trois mots, la fierté d’un peuple que la nature sait servir mais aussi se faire désirer. Un pragmatisme que nous avons enfoui dans les malles de nos grands-mères. Une culture millénaire qui transpire partout. Une religion qui soude tout un pays. Un système monarchique qui m’a rappelé que la verticalité du pouvoir a souvent du bon quand il s’agit d’avancer. Un roi aussi respecté que notre président ne l’est plus ou pas assez.
Tout n’est pas rose au Maroc bien entendu, à chaque pays ses problèmes. On apprend aussi à relativiser les problèmes du pays qui vous a vu naître en observant ceux de celui qui vous héberge.
A vivre en étranger, on apprend à s’intégrer du mieux que l’on peut en même temps que l’on découvre ce qui fera toujours de vous un étranger. Il avait bien fallu repartir. Je me souviens aussi bien du jour où j’avais croisé le sourire de cette femme dans l’ascenseur que de celui où je pris quelques années plus tard un taxi qui devait m’emmener à l’aéroport pour la dernière fois.
J’avais pleuré. J’étais fatigué, un peu usé, assez seul au fond en cette toute fin de cycle sur place que j’avais passée sans la famille. Surtout, je quittais un pays que je pensais ne jamais revoir ou seulement de manière superficielle pour faire un plouf ou deux dans la piscine d’un riad à Marrakech pendant des vacances prochaines. Ma sœur m’aurait dit que j’avais pleuré comme les hommes pleurent leur amante qui s’en est allée.
Le Maroc n’a jamais été mon amante. Je m’en voudrais de comparer une relation légitime et voulue avec une autre qu’un désir involontaire rend illégitime. Cela ne vous aura par ailleurs pas échappé que le Maroc se conjugue au masculin. Avec la gente masculine, mes plus proches rapports ont été chantés par Brassens: avec les copains d’abord et pas de ceux entre Montaigne et la Boétie. Et puis il y a deux ou trois choses un peu différentes entre l’expérience d’un amour pour un pays et celui entre un homme et une femme. Vous trouverez bien sans trop vous gratter la tête.
L’aéroport Mohammed VI
Dans mon cas, le paradoxe voulait que ce fût moi qui partais alors que le Maroc pouvait évidemment se passer de moi. L’inverse était moins vrai. Les retours d’expatriation sont souvent difficiles, je n’ai pas échappé à la règle. Celles et ceux qui me lisent et ont vécu à l’étranger pour en revenir savent de quoi je parle.
Mais bon, on se fait à tout, j’ai retrouvé les joies de la Défense et du RER. Non content de faire face aux vents hivernaux qui s’engouffrent sous la grande arche pour souffler jusqu’à la Concorde en passant par l’Etoile, je me suis vite retrouvé en Angleterre où comme chacun sait, on y vit en t-shirt toute l’année. Mon nouveau patron m’envoya ensuite à la frontière de l’Ecosse, il trouvait le temps à Windsor trop doux. Vous n’avez peut-être jamais fait attention, mais l’Ecosse partage quelques latitudes avec la Norvège. En quelques mois, je passai donc de l’ambiance de Casablanca à Rough, à quelques encablures d’Edimbourg. Petit changement.
Vous vous en doutez, tout cela ne pouvait pas durer très longtemps.
J’ai retrouvé le Maroc il y a 3 ans en lançant la filiale marocaine de BlueBirds que j’avais créée 4 ans plus tôt. Je n’avais nullement l’intention de retrouver les sensations que j’avais perdues, tout au plus revoir quelques amis, anciens collègues et clients que j’avais hâte d’embrasser. Mais il faut bien reconnaître qu’à chaque fois encore que je descends sur le tarmac de l’aéroport de Mohammed VI un jour de grand soleil, j’ai cette petite voix intérieure qui me dit que la vie est belle.
Vous aurez donc compris par cette longue lettre que l’épisode de la semaine n’a rien d’un hasard. Il est le fruit d’une longue tranche de vie passée et d’une autre qui a déjà démarré. Il est le premier d’une série vous dévoilant un peu de ce Maroc que j’aime tant et qui a tant à nous apprendre. Il est aussi le premier évoquant un continent tout entier qui fourmille d’idées et d’énergie. Ce continent ne nous attend pas.
L’Afrique !
Martin
Un édito signé Martin Videlaine
Je m’appelle Martin Videlaine. J’ai créé et dirige BlueBirds. Nous proposons les services de 6 000 indépendants à haute valeur ajoutée, consultants freelances, managers de transition et experts en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient.
BlueBirds sponsorise Histoires d’Entreprises.
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