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De la chance

« Entoure-toi de gens chanceux » m’a dit un jour l’une des fées que j’avais rassemblées pour le lancement de BlueBirds. Beaucoup sont toujours là à me conseiller même si je ne les rassemble plus. Elles me manquent, alors je les appelle parfois et nous discutons. La chance, j’en ai toujours eu et j’en ai encore de m’entretenir avec ces fées. Elles sont ces personnages mi-réels mi imaginaires à me rappeler que le réel d’une entreprise doit toujours nous faire rêver. On crée une entreprise parce que c’est au fond de nos tripes. On la fait grandir pour faire grandir les autres et à notre manière, à notre niveau, très modestement dans mon cas, changer un peu le monde. Rêver en quelque sorte.

La chance, j’ai continué d’en avoir cet été. Nous sommes partis en famille pour Tahiti et quelques autres îles à l’autre bout du monde.

Je vous ai déjà raconté dans ces lignes mes impressions de ce paradis de carte postale qui n’est

pas seulement paradis sur carte postale. Je ne m’y attarderai pas aujourd’hui.

Enregistré cet été à Papeete dans les jardins de la Présidence, l’épisode de la semaine raconte ma rencontre avec le Président de la Polynésie française : Moetai Brotherson. Si vous ne m’avez pas lu fin août, apprenez que la Polynésie française n’est ni un Département d’Outre-Mer, ni un Pays d’Outre-Mer, c’est un Pays d’Outre-Mer. Le Pays d’Outre-Mer est le statut le plus autonome que notre Nation ait trouvé pour s’accommoder des désirs bien légitimes d’autonomie d’un territoire sans toutefois lui laisser son indépendance complète. La Polynésie française a son Gouvernement, son Parlement, ses lois et son Président.

Nous discutons donc avec Moetai pendant une heure de la Polynésie. Vous ne serez pas surpris de ne pas nous entendre parler de plages, de resorts et des dauphins que je m’apprêtais à rencontrer. (Nous nous étions entretenus le lendemain de mon arrivée). Nous discutons de la Polynésie comme d’une grande ville : elle compte moins de 300 000 âmes. Nous discutons de la Polynésie comme d’un pays : Moetai est son Président. Et nous discutons de la Polynésie comme d’un continent. Ses 118 îles et ses milliers d’îlots (on dit motu en tahitien, prononcez « motou ») s’étendent sur un territoire grand comme toute l’Europe.

Indépendantistes et autonomistes

En préparant mon entretien en face du Pacifique, j’avais vite découvert que Moetai était indépendantiste. J’avais été doublement ennuyé. D’abord parce que mon réflexe me plaçait d’emblée dans le « camp d’en face », du côté des autonomistes, ceux-là mêmes, locaux, qui s’accommodent de la liberté, grande sans être pleine et entière, qui leur est laissée par Paris. Il allait falloir me plonger dans l’histoire des relations entre Papeete et la capitale française. Ensuite parce qu’il y a indépendantiste et indépendantiste, du plus mesuré et pacifique au plus violent. Or de la violence à la guerre il n’y a qu’un pas et même les guerres peuvent être justes. Le premier à avoir évoqué dans des écrits le concept de « guerre juste » est Cicéron un peu avant la naissance du Christ. Elle a été plus largement théorisée par Saint Augustin un demi-millénaire après. Allez donc lire De Officiis (Des Devoirs) ou bien La Cité de Dieu si le sujet vous intéresse. Il est tristement à la mode en ce moment.

Et Moetai, quel indépendantiste était-il ? Il allait falloir tenir une ligne dans notre entretien. Je n’avais ni envie d’alimenter une quelconque polémique – pas vraiment le style de la maison – ni envie d’écarter un sujet central : le statut de la Polynésie en France.

Sans le dire, cet entretien était donc politique. C’était une première pour moi. Nous avons rencontré d’anciens hommes politiques dans ce podcast, d’autres arrivent comme Renaud Dutreil. Nous avons bien interviewé un député européen comme Christophe Gomart mais j’avais pris soin à ce moment-là de rester sur le sujet industriel du jour. Là, je ne pouvais plus m’échapper. Et de toute façon, de m’échapper il n’était pas question. J’avais sollicité cet entretien et j’étais évidemment très heureux en même temps qu’impatient de cette rencontre.

Alors nous parlons autonomie et indépendance dans l’épisode du jour. Nous parlons de beaucoup des facettes de la Polynésie française. Vous entendrez rarement parler de la Polynésie comme avec Moetai et moi. Ne voyez pas là de crânerie quelconque. C’est ainsi, Moetai donne peu sa parole et il la donne encore plus rarement à un inconnu de passage troquant son costume gris pour un collier de fleurs de tiaré. Pourquoi m’avait-il choisi ? Je ne sais pas bien. Peut-être parce qu’au fond je suis sous les écrans radar des media classiques. Peut-être aussi avait-il perçu dans les anciens épisodes que les pièges ne sont pas ma tasse de thé. Je suis curieux comme vous, je m’interroge. J’aime comprendre en même temps que partager cette compréhension. Elle aide à mieux voir le monde, à l’accepter ou au contraire à choisir ses combats. Peut-être enfin était-ce un coup de pouce venu d’en haut. On est chrétien pratiquant à Tahiti, il n’est pas rare de débuter un repas par un bénédicité comme celui qui allait venir.

La paix

Moetai est un homme de paix, rassurez-vous. L’homme impressionne physiquement mais sa corpulence est celle d’un géant bienveillant. Son sourire chaleureux, sa chemise blanche et verte à fleurs, son pas tranquille et droit, ne suggèrent rien d’autre qu’un Président paisible qui dirige un peuple lui-même paisible. Sa carte de visite est imprimée d’une raie manta. La grâce de sa nage dit beaucoup de l’esprit qui habite l’homme que j’avais en face de moi. Son regard, sa parole, ses gestes calmes sur la table au milieu du jardin m’avaient tout de suite mis en confiance.

J’avais dû moi-même le mettre en confiance. Il m’avait invité ensuite à déjeuner, cela n’avait pas été prévu. J’avais alors découvert son bureau et les objets qui font son quotidien comme cette imprimante 3D en train de fonctionner en face des sièges protocolaires où nous avions pris une photo. (Moetai est ingénieur de formation, ceci explique peut-être cela).

Il m’avait donc donné l’opportunité de partager un repas avec son épouse. Mais que faisais je là m’étais-je interrogé un moment ? Peut-être s’était-il dit que j’avais été digne de sa confiance. Peut-être aurais-je pu l’aider dans ses différents projets. Peut-être avait-il été tout simplement curieux de mieux connaître cet homme entre deux âges que Celui auquel il croyait avait placé sur son passage. (Croyant ou pas, les rencontres sans objet sont toujours riches. Il m’a fallu moi-même des années pour le comprendre et les provoquer.)

Mi touriste, mi- journaliste, à la fois ambassadeur, curieux, et soucieux de rapprocher une centaine d’îles aux antipodes d’une capitale se cherchant elle-même de plus en plus, j’avais été simplement invité. Faut-il une raison pour être invité ou inviter quand on est voisin, même quelques heures ?

Aujourd’hui encore, en écrivant ces lignes, je suis ému de ces souvenirs estivaux. Je retiens surtout la paix intérieure que m’avait laissée Tahiti, Moorea, Taha’a et Raiatea. Cette paix est un don et devrait tous nous inspirer. Je la dois à tous les polynésiens, à leur Président mais aussi beaucoup à leur voisin de toujours, l’océan. A la chance d’avoir découvert ce monde.  

Martin