Sur mon transat
« Le bonheur, tout le monde est pour. Travailler, on s’en passerait volontiers ! » disait André Comte Sponville dans l’un de nos épisodes précédents.
Changez ci-dessus le bonheur par la retraite et vous aurez peut-être l’accroche de la semaine. Je reçois aujourd’hui Nicolas Dufourcq, DG de la Banque Publique d’Investissement, Bpifrance. Je ne commettrai pas la maladresse de vous présenter la BPI dans ces lignes. Du reste, il n’est pas question d’elle aujourd’hui mais de toutes les entreprises, de la plus modeste à la plus grande. Elles cotisent toutes à notre modèle social.
Ce modèle social, Nicolas nous en réécrit l’histoire dans un livre dont nous discutons dans l’épisode du jour :La dette sociale de la France 1974-2024, éditions Odile Jacob.
Je sais, parler de modèle social, de dette et tout un tas de choses plutôt sérieuses ne conviennent pas génialement à un dimanche matin. Mais que voulez-vous, ma passion pour l’économie est aussi sociale. Vous le savez comme moi, l’économie et le social sont les deux faces d’une même pièce. Quand l’une éternue, l’autre tombe malade. Et inversement.
Un secret de famille
La découverte de Nicolas, le secret de famille comme il le dit dans notre entretien, tient en une phrase. Les deux tiers de notre dette publique est sociale. 2000Md€ des 3500Md€ de notre dette a été construite pour financer notre générosité à l’égard de ceux qui en avaient le plus besoin : les retraités, les chômeurs, les malades et les familles. (Le reste a financé l’Etat et les collectivités, et pas toujours l’investissement.)
Ces 2000Md€ sont un crédit à la consommation de tout un peuple ayant décidé, consciemment ou inconsciemment, d’envoyer la facture à ses enfants. Nous pensions être généreux à l’égard des plus nécessiteux. Nous avons surtout été égoïstes à l’égard des générations qui nous suivent. Nous sommes les champions de la dette : dette environnementale, dette technologique et dette publique. Il y en a d’autres, mais je m’en voudrais de gâter définitivement votre café dominical.
La dette publique fait partie de ces secrets de famille qui comme tous les secrets n’aiment pas être révélés, encore moins discutés. Quel politique de 1er plan, tous bords confondus, nous dit aujourd’hui : « Il va falloir cesser de vivre à crédit » ? Aucun.
Le Portugal, le Danemark, l’Irlande et Chypre affichaient en 2024 un excédent budgétaire. La Grèce, l’Italie, le Luxembourg et la Slovénie présentent eux un solde primaire positif (solde avant dépenses d’intérêts). Source : Primary deficit/surplus | ECB Data Portal. La France n’est ni l’Italie, ni l’Irlande et encore moins la Grèce j’espère. Mais soyons humbles : inspirons nous d’eux et traçons notre chemin.
Pour stabiliser la dette avec une croissance nulle – l’activité privée est en récession depuis plus d‘un an -, il faudrait réduire notre déficit public à zéro. Or il sera cette année de l’ordre de 170Md€ pour des dépenses publiques totales avoisinant 1700Md€. Rappelez-vous, notre précédent 1er Ministre cherchait 44Md€. Nos députés lui ont dit non. Ils ont fait nommer un garçon sympathique qui fait ce qu’il peut. Pour l’instant, le budget 2026 va vers un accroissement des dépenses publiques, des impôts, du déficit et de la dette. Jusqu’ici tout va bien disait Kassovitz dans La Haine. On connaît l’atterrissage. C’est raconté dans cette lettre décrivant les aventures du Portugal il y a quinze ans.
En 2023, sur 1600Md€ de dépenses publiques, 900Md€ ont été sociales. De ces 900Md€, 400Md€ ont été alloués aux retraites. Pas besoin d’être un génial fonctionnaire à Bercy pour comprendre que l’équilibre de nos dépenses publiques passe par l’allègement de nos dépenses de retraites. Certains d’entre vous proposeront volontiers d’augmenter la pression fiscale pour tenter de trouver cet équilibre budgétaire. Rassurez-vous, vous avez des amis en nombre à l’Assemblée Nationale en ce moment.
Sans vouloir polémiquer inutilement, aucun impôt ne permettra de trouver 170Md€ pour équilibrer les finances publiques et en même temps investir dans les défis du XXIème siècle comme l’IA, le réchauffement climatique ou notre réarmement. Il n’y aura bientôt plus le choix, il faudra réduire nos dépenses publiques partout où nous le pourrons ou a minima les faire croître moins vite que la croissance devenue elle-même négative. Nous ne sommes pas du tout sur cette trajectoire pour l’instant.
A la plage
Je n’essaierai pas de vous convaincre de travailler davantage dans la semaine ou dans la vie. C’est vrai, j’aime travailler. Pourtant, proposez-moi une plage, le bruit des vagues, quelques oiseaux, un paysage vert et bleu, le regard amusé de mon épouse en tenue de bain sur un transat – allongée sur un transat, jamais elle n’est ; souriante, invariablement elle l’est ou je dois vraiment m’inquiéter – et là, comment vous dire… Je succombe. Blaise Pascal disait au XVIIème siècle que « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » Dans une chambre peut-être pas mais à la plage, si.
A la plage on peut lire sans compter les heures. Il vous en faudra quelques-unes pour parcourir les 500 pages de Nicolas Dufourcq. Partez à Bayonne, à Nice ou à Huahine mais prenez le temps. Si vous êtes paresseux, et je sais que vous pouvez l’être comme moi, vous ne lirez que les 200 premières pages qui mènent déjà à sa conclusion. Les 300 autres rassemblent une cinquantaine de lettres d’entretiens. Vous pourrez y lire dans l’ordre chronologique des rencontres de l’auteur les mots d’Alain Minc, Jean-Claude Mailly, Jean Peyrelevade, Marisol Touraine, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, Bernard Thibault, François Hollande, Elsa Fornero (la plus instructive s’agissant du cas de l’Italie), Raymond Soubie et d’autres encore.
Tous racontent l’histoire sociale de la France. C’est passionnant. Tous sont sincères. Tous portent leurs convictions. Tous nous ont conduits là où nous en sommes.
Nous les avons choisis. Ils ont fait la France. A nous de construire celle qui advient.
Martin
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